Quelle est la situation économique ?
L’effondrement total de la structure de l’emploi – notamment l’effondrement du marché du travail – a créé un chaos social sans précédent en Grèce. Aujourd’hui, 10 % de la population ne bénéficie d’aucune aide sociale, c’est la pauvreté absolue. Bien que les gens ne soient pas complètement exclus du marché du travail, ils survivent en dehors de toute structure d’aide institutionnelle ou sociale, qu’elle soit locale ou gouvernementale. C’est un phénomène nouveau. En même temps, le nombre d’emplois a beaucoup baissé, plus d’un million de personnes ont perdu leur travail en un laps de temps très bref, sans aucun moyen pour y faire face, à part une aide de l’Eglise qui fournit des abris mais surtout de la nourriture, en association avec d’autres agences qui auparavant étaient en conflit avec elle, en tant qu’organisation ecclésiastique et non civile.
Quel impact sur la santé ?
Plus de deux millions de personnes, y compris des enfants, n’ont pas d’assurance maladie. La plupart d’entre eux sont à leur propre compte ou employés de PME qui licencient ou ferment à cause d’un système fiscal erratique. La fiscalité a changé au moins six fois en trois ans, c’est un système très instable. De plus, on ne sait pas très bien où va l’argent. Ce que l’on sait, c’est qu’il sort du pays pour payer la dette exorbitante. De toute évidence, les ressources sont drainées par le système fiscal et le surplus quitte le pays. Cette année, plus de 7 milliards d’euros iront payer rien que les intérêts de la dette. L’aide aux plus faibles et aux handicapés est réduite au strict minimum. Conséquence : des institutions psychiatriques ou autres institutions spécialisées, qui ont résisté pendant 150 ans, sont aujourd’hui en voie d’être fermées parce que le gouvernement les taxe lourdement avec qu’on appelle des « contributions volontaires » pour les besoins spéciaux.
La crise frappe particulièrement les enfants, dont le taux de pauvreté est passé de 24 à 30 % en trois ans. Nous avons une pauvreté de masse, qui se voit notamment dans les écoles, avec des enfants qui ont du mal à se nourrir. Nous avons le lait le plus cher d’Europe : 33 % d’augmentation en trois ans !
La plupart des gens croient que l’on applique de simples mesures d’austérité pour réduire le déficit budgétaire…
C’est logique, mais ce n’est pas la réalité, parce que normalement, quand vous avez un plan de restructuration, vous appliquez aussi l’alternative. Ici, on nous dit qu’il n’y aucune alternative, sinon l’austérité. Comme résultat, on assiste à un exode des jeunes et des personnels qualifiés et à une marginalisation de secteurs entiers de la population. Comment peut-on abandonner des enfants, les taxer, taxer les aides au chômage ? Ne sait-on pas ce que cela implique de vivre ainsi ? Comment arrive-t-on à un si faible pourcentage de personnes touchant le chômage, et pourquoi l’Etat ne parvient-il pas à être cohérent sur qui travaille et ne travaille pas ? Il y a un demi-million de personnes qui travaillent et qui ne sont pas payées.
(…) Quel est le minimum requis pour faire tourner le système ? On a besoin qu’un minimum de services généraux soit fourni. Pour la pauvreté des enfants, par exemple : ils doivent être couverts en matière de santé, on doit garantir qu’ils aillent à l’école. Il y a des droits humains de base comme la nourriture, le logement.
(…) Comment la suspension de ces droits peut-elle être rationalisée comme une chose temporaire dans le but de remplir des exigences d’austérité ? C’est métaphysique. « J’arrête de manger pendant trois ans pour quoi faire ? Est-ce que j’épargne en arrêtant de manger ? » La dépendance de la Grèce en termes d’importations de nourriture se poursuit. Les mesures de la Troïka ont accru les inégalités sociales dans le pays, elles ont creusé l’écart entre ceux qui possèdent et ceux qui n’ont rien.
Basculement dans la clandestinité
(…) La classe moyenne est surtaxée et une grande partie de la population, marginalisée. Afin de satisfaire ses besoins, elle succombe aux sirènes de groupes politiques alternatifs qui se définissent clairement comme des nazis, parce qu’ils leur offrent un soutien moral ou symbolique dans leur vie quotidienne. La rupture totale des protections de l’Etat finit par créer une économie parallèle (…) Il peut s’agir de gangs souterrains criminels, dans la prostitution, la drogue, la sécurité privée, qui se sont répandus à un niveau sans précédent.
Relancer la production
(…) Il n’y a jamais eu de campagne en Europe, par exemple, pour encourager les populations à acheter les produits grecs ; ils disent que les Grecs sont paresseux. Pourtant nous produisons beaucoup de bonnes choses, mais il n’y a pas de marché pour nos produits en Europe. Pourquoi ? Comment peut-on emprunter continuellement sans exporter, ou sans un marché touristique rentable ? La plupart des choses que les touristes consomment en Grèce proviennent de l’étranger.
(…) Le manque de formation professionnelle a créé chez nous une situation particulière, où le pays est devenu un producteur de biens non finis, qui reviennent ensuite de l’étranger sous forme de produits finis. Nous ne transformons rien réellement. Près de 80 % de notre production agricole – coton, tabac, oranges – est exportée. Beaucoup de notre production alimentaire, pourtant suffisante pour le marché national, n’est pas disponible sur le marché dans les grandes villes, car elle est exportée et réimportée…
(…) Certains secteurs s’en sortent, mais ce sont des exceptions. C’est l’insécurité totale. Tout le monde se sent en danger, à cause de l’effondrement du système de santé. Il n’y a pas que les retraités. Quelle société au monde, quel que soit son système, ne souhaite pas une stabilité élémentaire ? En Grèce, ce n’est pas le fascisme que nous avons. Cela va au-delà : même un système dictatorial tente de maintenir les bases de son fonctionnement. Mais aujourd’hui, quand il s’agit de définir le système, tout le monde est déboussolé parce que nous ne savons pas ce qu’il est (…) Je ne sais pas qui est gagnant, mais certainement pas les Grecs !
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